samedi 9 décembre 2017

Le drone à l’assaut du secteur agricole en Afrique


Une révolution agricole de plus ?

La petite irrigation pour lutter contre la famine
Le développement de l’agriculture a toujours cristallisé l’attention des gouvernements, des économistes et organisations de la société civile. De Maltus à Amartya SEN, le débat sur la relation "croissance démographique" et "disponibilité alimentaire" s’est enlisée. Ceci est à l’origine des révolutions observées au cours des siècles dans la pratique agricole. Tout d’abord la pratique de la jachère et la mise en œuvre d’assolements parcellaires. L’objet ici était celui de mettre au repos des parcelles de terre (afin de se reconstituer) mais aussi d’effectuer la rotation des cultures. Ensuite, apparut vers le XXs la mécanisation des terres, l’usage des engrais chimiques et produits phytosanitaires. L’enjeu était simple, produire davantage afin de nourrir une population sans cesse croissante, palier aux ressources épuisables de la terre et aux effets du changement climatiques. Seulement cette pratique devait être tributaire de dépenses énormes, de la survenance de nombreuses maladies (utilisation des engrais chimiques), de la montée des prix agricoles et la guerre de propriété (acquisition de grandes parcelles de terre, ce qui entraînera aussi de nombreuses migrations).
La grande révolution est sans doute l’usage du numérique agricole. Des organisations de la société civile (ARDYS-CTA) et groupement de producteurs s’y sont largement intéressés. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication se sont introduites dans chaque maillon du développement de l’agriculture. De la production, à la récolte et la conservation puis la commercialisation, le numérique a gagné plus d’espace rendant l’activité agricole plus « facile » et transparente. Le client peut vivre le quotidien du producteur et vice versa. Cette révolution s’appuie sur la collecte et le traitement de données agricoles dans le but d’utiliser les résultats comme mesure d’anticipation, d’optimisation et de rationalisation des décisions. Aujourd’hui, des outils jadis utilisés par le département militaire au sein des Etats se sont invités à la cause agricole : le drone.

Qu’est ce qu’un drone ?

Un drone agricole
Appareil volant semi autonome avec capacité de collecter des données visuelles ou sonores, le drone ou UAV (Unmanned Aerial Vehicule-Véhicule Aérien sans Pilote-), est la référence en matière de révolution dans le domaine agricole en ce XXIs. C’est un robot pilotable à distance, qu’il soit aérien, terrestre ou aquatique. Jadis utilisés dans le domaine militaire comme matériel d’espionnage, de mission de reconnaissance et d’engins de guerre, le drone a fait éruption dans la société civile et notamment dans l’agriculture. 
Sa hauteur de vol comprise entre 50 et 150 mètres lui permet d’acquérir des images avec une résolution spatiale aux alentours de 5 cm. Tout comme la révolution du machinisme agricole avec l’émergence de tracteurs et engins agricoles, l’intelligence numérique a éclaboussé le secteur agricole de ces petits aéronefs robotisés et pilotables à distance.

Agriculture de précision et drone

Autrefois, l’agriculture s’appuyait sur le principe de l’homogénéité des parcelles s’agrippant au cycle de production avec comme conséquence les pratiques traditionnelles de culture (labour du sol, semis, désherbage, fertilisation, protection des cultures). Pratiques il faut le signaler, étaient appliquées sur les espaces de petites tailles avec des connaissances environnementales et climatiques connues. Les changements climatiques (baisse des précipitations, changement du calendrier culturale, …) combinée à la croissance démographique ont conduit les producteurs à acquérir des espaces de plus en plus denses et à développer des mesures d’adaptation afin de produire en quantité suffisamment élevée et à moindre coût. C’est l’ère de gloire de l’usage d’intrants chimiques et pesticides à outrance, l’arrivée des tracteurs et engins agricoles. C’est aussi la prise en compte du numérique basé sur les systèmes de géolocalisation, de cartographie et de drones agricoles[1]. Il s’agit de rendre compte d’une connaissance précise de la variabilité du climat, de réduire les dépenses exorbitantes liées au fonctionnement des engins agricoles, de prioriser la sécurité et la qualité des cultures afin de réaliser des interventions ciblées. L’agriculture de précision est donc un système de gestion de parcelle qui vise l’optimisation des rendements et des investissements. Elle fait référence au principe de l’interventionnisme « du bon endroit au bon moment ». Les drones agricoles, réputés assez discrets, rapides et facilement maniables, ont la capacité de se faufiler dans les lieux les plus accidentés et moins accessibles avec un record de gain en temps. Il est parfaitement compatible avec le concept d’agriculture de précision et cela pour des milliers de raisons.

Quelles contributions concrètes du drone au secteur agricole ?

Le XXIe marque sans doute le début de la révolution troisième génération dans le domaine agricole. Les véhicules aériens sans pilote sont jusqu’ici les derniers inscrits sur la liste en matière d’innovation. Les observateurs et utilisateurs s’accordent pour affirmer que le drone est d’une importance avérée pour le développement agricole, la lutte contre la famine et l’insécurité alimentaire. Thomas Maltus n’avait certainement pas prévu qu’une fois dos au mur, l’esprit humain pouvait se développer au point de trouver des palliatifs aux difficultés d’existence dont il pouvait faire face.

1.    Le drone pourrait faciliter l’accès au financement agricole

Les activités bancaires sont basées sur la prise de risque et la confiance à elle accordée à sa clientèle. La confiance est en effet très déterminante pour un établissement bancaire. Celle-ci est basée sur les preuves documentaires que fournissent le requérant, des preuves qui doivent être précises et justes. Seulement le secteur agricole est considéré comme pourvu de plusieurs variables très instables (encore plus prononcé avec l’effet des changements climatiques) ne favorisant pas l’accès au crédit. A travers un drone, l’entrepreneur agricole pourra présenter avec exactitude l’étendue de ses plantations, les cultures présentes,… Banques et assurances pourraient l’utiliser comme assurance des services requis.

2.    Le drone comme outil de précision et de gain de temps

Collecte et traitement de données sont des opérations généralement réalisées par les producteurs. Cette tâche s’avère périlleuse et coûteuse lorsqu’il faille le faire sur des espaces de plus en plus importants. Le temps est aussi une variable non négligeable car il faut rapidement inspecter les cultures et administrer le traitement ou tout du moins mettre en pratique la recommandation des résultats d’analyse. La collecte et le traitement de données permettra ainsi de mettre sur pied un schéma d’analyse de prédiction, d’optimisation et de rationalisation dans la prise de décision.

3.    Faciliter la commercialisation des produits

La commercialisation est un parcours de combattant pour certains producteurs surtout des zones reculées des grandes agglomérations. La faible maitrise des techniques post-collectes (notamment séchage) et le manque de magasin contribuent au pourrissement (la perte) des récoltes lorsque celles-ci ne sont pas écoulées. La montée du numérique notamment les applications TIC[2] de mise en relation des producteurs et acheteurs a révolutionné le secteur agricole. Le drone contribue à authentifier la crédibilité des producteurs en ce sens qu’il donne assez d’informations à l’acheteur de porter un jugement précis 1) sur la disponibilité des produits, 2) la qualité et la quantité des produits et finalement 3) s’accorder sur le prix.

4.    Le drone comme allié de lutte contre le changement climatique

Les effets du changement climatique sur l’agriculture sont à l’origine du déplacement des populations et changement d’activité (Molua, 2006), de l’ajustement du calendrier cultural, de la montée de l’usage des intrants chimiques,… Il devient de plus en plus difficile de contrôler sa plantation/ferme, de prévenir les feux de brousse, de détecter les besoins urgents des végétaux (manque d’eau, manque s’azote), de veiller sur son pâturage surtout lorsque celle-ci est à perte de vu. Le drone agricole permet à ce jour de juguler ces aléas et de donner un renseignement précis. Il permet même de prévenir des cas de vol de bêtes ou de production agricole à travers les images/vidéos qu’il transmet aussitôt.

Les craintes et difficultés liées à l’usage du drone

Aussi nombreux que sont les bénéfices de l’usage du drone agricole, il ne faut pas négliger ce qui pourrait être considérer comme inconvénients. En effet, en 2014 en Australie, un drone a servi à la livraison de la drogue[3] dans une prison de l’Etat. L’agilité et la discrétion du drone peuvent également servir à collecter les données sur des personnes sans leur consentement. Il peut en ressortir d’images/vidéo et prise de sons compromettants mettant ainsi en péril le respect des droits et la liberté des populations.

Les freins à l’usage de drones pour leur part prennent en compte :

 i.     La réglementation

Tout comme le monde aéronautique fonctionne sur la base d’une réglementation bien établie, celui de l’usage du drone agricole doit être également disponible. Au risque de noter les collisions, les dérapages (usage à des fins immorales par exemples) des drones sur des territoires bien déterminés. Les gouvernements africains notamment ceux de l’Afrique de l’Est semblent plus avancés sur ce terrain. Au Cameroun, le Directeur de l’autorité aéronautique signait en date du 18 novembre 2016 un document précisant les modalités de demande d’autorisation d’utilisation d’aéronefs télé-pilotés dans l’espace aérien et sur le territoire camerounais pour les opérations ponctuelles de travail aérien. Des réglementations parfois contraignantes au goût des producteurs qui s’en éloignent très souvent.

ii.     Connaissances techniques autour du drone

La technologie du drone n’est pas à la portée de tout le monde. Par ailleurs, l’acquisition d’un drone devrait pouvoir intégrer le volet formation à l’usage ainsi que celui de la maintenance. Au Cameroun, le secteur est presque encore vierge. Seule l’entreprise Will&Brothers s’est proposé de produire et commercialiser les drones construits sur le territoire. Elle est la référence en Afrique centrale.

iii.     Autres freins

La faible disponibilité énergétique surtout en campagne et la qualité du débit internet qui n’est pas toujours optimale tout comme le coût d’acquisition de cette technologie (entre 1000-8 000$) constituent un ensemble d’aléas non négligeables à l’usage du drone agricole en Afrique.





[1] Le drone agricole fait référence ici aux drones à usage agricole. Il est possible d’avoir des drones à usage de tourismes, de bâtiments, …
[2] Technique de l’Information et de la communication
[3] Consulter le site www.Mirova.com (Article de Louise Schreiber & Emmanuelle Ostiari publié en 2014 « Game of drones : quelle place pour le développement durable dans les applications civiles ?)