vendredi 29 avril 2016

Problématique du Franc CFA comme outil de développement économique et social des pays de la zone Franc


La zone Franc est une entité intégrée d’Etats qui ont en partage le Franc CFA[1]. Elle compte 15 États africains plus la France[2]. Après leur accession à la souveraineté internationale, ces États ont continué à utiliser la monnaie française comme devise ancre afin de pouvoir effectuer des opérations sur le marché international. Seulement le niveau de développement de ces derniers est assez disparate. A l’observation, les économies de la CEMAC connaissent des développements en dents de scie, atteignant difficilement des scores de croissance supérieurs à 8%. A contrario, celles de l’Afrique de l’Ouest semblent mieux intégrées et développées. Chaque zone émet son propre Franc CFA à travers leurs banques centrales respectives à savoir la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest(BCEAO)[3].
La problématique liée au franc CFA comme monnaie de développement économique et social reste d’actualité. Elle pose la question de la capacité réelle du Franc CFA à impulser et à soutenir le développement des pays membres de la zone Franc. En effet, plus de 50 années après les indépendances, ces États connaissent toujours des difficultés de croissance économique comparativement aux pays comme le Nigéria, le Ghana, et l’Afrique du Sud détenteurs de monnaie nationale. Pourtant, la monnaie joue un rôle indéniable  pour toute économie.

1. L’importance de la monnaie pour le développement économique et sociale d’un pays


La monnaie est une identité et un actif économique important dont le rôle est indéniable pour le développement économique et social d’un pays. Elle est un outil de puissance, de souveraineté, de renforcement de la cohésion sociale et de développement (Tchundjang, 1981 ; Agbohou, 1999 ; Kamgang, 2000). Trois (3) principales fonctions lui sont reconnues :

- La fonction de réserve de valeur : C’est une faculté que possède la monnaie à transférer du pouvoir d’achat dans le temps. C’est un instrument d’épargne. Cette fonction permet aux agents économiques de pouvoir acquérir les actifs souhaités selon leur espace temporel sans peur de perdre totalement la valeur monétaire de leur épargne ;

- La fonction d’intermédiaire dans les échanges : C’est la capacité que détient la monnaie de satisfaire aux besoins des populations dans l’acquisition des biens économiques. Elle vient pallier aux problèmes de doubles coïncidences de biens relevées dans l’économie de troc. Elle permet d’effectuer les opérations d’achats et de ventes sur un marché ;

- La fonction d’unité de compte : La monnaie constitue une référence, un étalon de mesure permettant d’estimer la valeur des biens et services. Il serait donc difficile d’acquérir un bien ou un service s’il n’est pas possible de déterminer sa valeur monétaire.

L’on pourrait ajouter aussi une autre fonction, celle de la cohésion sociale dans la mesure où la monnaie unit les peuples et préserve la paix en faisant abstraction du statut d’agents économiques de la société. Il n’existe pas une monnaie pour les moins nantis et une autre pour les plus nantis. Pour un meilleur fonctionnement de l’économie, la monnaie joue un rôle central. Si elle n’est pas acceptée des agents économiques, il est fort à parier du difficile progrès de l’économie.

Aujourd'hui, dans les consciences populaires en zone CEMAC ou UEMOA, la pensée collective colle au Franc CFA l’expression de monnaie coloniale (Mehdora, 1995). Celle-ci pourrait affecter la confiance faite à cette monnaie et restreindre les performances qui auraient pu être enregistrées. La monnaie c’est avant tout la confiance que lui donnent les agents économiques principaux utilisateurs. S’il est vrai que la valeur d’une monnaie est approuvée par le Fonds Monétaire International, c’est avant tout les utilisateurs qui lui donnent un sens. Le Nigéria avec le Naïra (monnaie non acceptée sur le marché international) est aujourd'hui le premier pays sur le plan économique en Afrique à travers la vivacité de ses agents économiques qui ont développé un marché dont l’attrait est approuvé jusque dans les pays du nord. La confiance en cette monnaie, qui est une identité dans le pays, accompagnée d’une politique rigoureuse de l’autorité monétaire, contribue au développement du pays. C’est également le cas des pays tels que la Corée du Sud, le Ghana, et le Rwanda dont le niveau de développement était peu attrayant dans les années 1960.

2. Les principes de fonctionnement de la zone Franc, un frein au développement des pays membres

Plusieurs principes régissent le fonctionnement de la zone Franc. Seulement, ils ne concourent pas toujours au développement socio-économique des économies de la zone après plus de 50 années de coopération comme le font remarquer les auteurs tels que Gnimassoun (2012) ; Allechi Mbet, et Madeleine  Niamkey (1994) et Nicolas Agbohou (1999).

- Le principe de la convertibilité illimitée : le franc CFA est une monnaie qui n’a cours légal qu’au sein des Etas membres la zone Franc. C’est la raison pour laquelle afin d’effectuer des achats sur le marché international, les pays de la zone Franc doivent tout d’abord convertir leur monnaie en Euro. Le garant de cette convertibilité est le Trésor français qui selon le principe suscité, doit satisfaire de manière illimitée les demandes de conversions des États membres. Ceci aurait été encore possible tant que la France n’avait pas renoncé à sa souveraineté monétaire en confiant sa politique monétaire à la Banque Centrale Européenne (BCE). Dès lors, elle a perdu sa faculté à créer la monnaie à partir de rien et donc de satisfaire à sa guise la demande de conversion monétaire des pays membres de la zone Franc. Si le Cameroun souhaite par exemple acquérir l’équivalent de 1 000 Fcfa en Euro pour effectuer des achats en Chine, le Trésor français pourrait ne disposer que l’équivalent de 700 Fcfa, ce qui ne permettrait pas au Cameroun de réaliser son opération. Ce principe ne remplit plus sa mission et devient ainsi une entrave au développement économique de la zone ;
-   Le compte d’opération : Avant le 26 Septembre 2005, les pays membres de la zone CFA étaient tenus de verser au Trésor français 65% de leur réserve de devise. Il est désormais de 50%. En réalité, chaque État est tenu de verser au Trésor français 50% du total de ses recettes d’exportation sur les marchés internationaux en vue de se constituer un stock de devises. Plus explicitement, si le Cameroun venait à vendre aux États Unis du pétrole pour 1 000$, il devrait reverser une somme équivalent à la moitié de 1 000$, soit 500$ dans son compte auprès du Trésor français. La France garantira ainsi ces achats en lui octroyant les devises dont il aura besoin. Seulement, le Trésor fixe des quotas au-dessus desquels il n’est pas possible d’acquérir la somme demandée. Ceci causerait inlassablement des manques à gagner pour les pays africains de la zone Franc (PAZF). Par ailleurs, le trésor français dispose de ces devises à sa guise et peut les faire fructifier sur les marchés financiers. Le second handicap viendrait du fait que les PAZF ne pourraient pas jouir de la totalité des revenus issus des exportations bien que il y ait dans ces pays de nombreux chantiers de développement en cours d’exécution ou à l’état de projets ;
-  La fixité du taux de change du Franc CFA par rapport à l’Euro ne permet pas aux États membres de la zone Franc de bénéficier des avantages que procure le régime de change variable pour des raisons suivantes. Premièrement, il est davantage conseillé aux économies frileuses des chocs asymétriques de ne point faire le choix du change fixe étant donné le retour à l’équilibre ré-établi par l’ajustement du taux de change nominal. La seconde raison tient au degré d’intégration des pays de la zone. La zone CEMAC peine à rendre concrète les bases d’une zone d’intégration monétaire telle la libre circulation des personnes et des biens, ce qui ne contribue pas au renforcement des économies. Nous pouvons conclure avec Amina Lahrèche-Revil que : « Dans ces conditions, un régime de change fixe ne serait désirable que si les pays considérés constituent une zone monétaire optimale (ZMO), c'est-à-dire si la flexibilité des prix et la mobilité des facteurs sont en mesure d'absorber les perturbations économiques sans qu'il soit nécessaire de recourir à un ajustement du taux de change nominal[4] ».

De ce qui précède, il serait difficile pour les pays de la zone Franc d’accéder au rang des pays développés s’ils ne peuvent jouir du potentiel de leur monnaie de façon souveraine. Ceci est exacerbé par la présence permanente du « conseiller » français qui influe considérablement sur les politiques de développement de ces pays.

3. Repenser la monnaie au sein de la zone Franc

Il existe cependant des voies d’amélioration de la présente situation économique et sociale des pays de la zone franc.
Renégocier l’ensemble des accords serait inévitable pour un nouveau départ des pays de la zone Franc. Il est souhaitable qu’il n’y ait plus de compte d’opération auprès du Trésor français et que la convertibilité illimitée soit rétablie. Les États de la zone Franc ont besoin de commercer sur le marché international et de financer leur développement sans toutefois être dépendant des prêts.
S’il paraît difficile de parvenir à un consensus, ces États pourraient envisager créer leur propre monnaie. En effet, en tant que zone d’intégration économique et monétaire, elle constitue un marché non sans importance de par la taille de sa population et des ressources naturelles disponibles. Elle peut donc prétendre à sa souveraineté monétaire et créer une banque centrale unique garant de la stabilité monétaire.
Toutefois, la création d’une monnaie unique ne suffirait pas pour régler la question du développement des pays de la zone Franc. Pour cela, cette transformation monétaire devrait aller de pair avec des règles rigoureuses et contraignantes de bonne gouvernance dans tous les domaines de l’économie, portées par des dirigeants à la conscience avérée qui ne confondraient pas bien collectif et bien public. Il faudrait aussi amener les agents économiques des différents États à accepter le changement de monnaie et à faire la promotion des produits locaux. Ceci permettrait le développement du marché régional et impulsera la croissance économique des États membres.

Quelques repères bibliographiques :

Alexander Yeat (1990), « Do African countries pays more for imports? Yes », the World Bank Economic review. Vol.4 N°1 ;

Allechi Mbet, Madeleine A Niamkey (1994), « Evaluating the net gains from the CFA franc zone membership: A different perspective », World Development, IMF. Vol 22, n° 8, Special Issue. August, pp 1147-1160 ;

Blaise Gnimassoun (2013), « taux de change et mésalignement du Franc CFA avant et après introduction de l’Euro », EconomiX-CNRS, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, Working paper ;

Hubert Kamgang (2000), Le Cameroun au XXIe siècle – Quitter la CEMAC, puis œuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États Unis d’Afrique, éd. Renaissance Africaine, Yaoundé;

Joseph Tchundjang Pouémi (1981), Monnaie, Servitude et Liberté : Répression monétaire de l’Afrique, éditions Menaibuc, Paris;

Mamadou Koulibaly (2009), « La souveraineté monétaire des pays africains », Conférence prononcée à l'invitation de l'Association "REPÉRES", Centre International de Conférence de Bamako, 15 Août ;

Nicolas Agbohou (1999), « Le Franc cfa et l'Euro contre l'Afrique », Ed Solidarité Mondiale. Paris;

Rohinton Medhora (1995), « The allocation of seigniorage in Franc Zone: the Beac and Bceao regions compared » ;







[1] Franc CFA : Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (zone CEMAC) et franc de la Communauté Financière d’Africaine pour l’Afrique de l’Ouest
[2] En Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo;
En Afrique centrale : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad ;
Et les Comores.
[3] L’équivalent pour un agent économique qui détiendrait 1 000 Fcfa de la zone CEMAC en zone UEMOA est de 950 Fcfa.
[4] Lire le livre de Amina Lahrèche-Revil publié en 1999 et intitulé « l’économie mondiale 2000 ».

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